Article rédigé par Dr. Robert Barbier
Pneumologue à Avignon
Avril 2022
La résistance des voies aériennes peut être mesurée en routine lors des explorations de la fonction respiratoire par pléthysmographie (RVA, ou Raw en anglais). Elle est peu considérée par les pneumologues alors que sa mesure est facilement accessible en pléthysmographie par des manœuvres très simples qui n’allongent pas (ou très peu) le temps de l’exploration de la fonction respiratoire et qu’elle éclaire la fonction respiratoire probablement au-delà du simple VEMS. Rappelons qu’elle est réalisable plus aisément en pédiatrie et même parfois dans la population adulte que les mesures issues de manœuvres ventilatoires forcée. Faisons donc un rapide point sur sa mesure qui reste très instructive.
Pourquoi mesurer les RVA ?
La mesure des RVA est utile à l’évaluation du degré d’obstruction des voies aériennes comme dans l’asthme ou la BPCO.
- Chez l’adulte sain, la résistance siège surtout dans les voies aériennes centrales. La contribution des petites voies aériennes à cette résistance n’est que de 20 %. Chez l’enfant, la contribution des voies aériennes distales à la résistance est plus importante.
- Dans la BPCO, c’est l’atteinte des petites voies aériennes (PVA) qui est responsable de l’obstruction. Et il faut donc une atteinte importante de ces PVA pour être perceptible cliniquement et par la mesure des RVA.
- Dans l’asthme, l’atteinte des voies aériennes centrales est plus importante mais l’atteinte des PVA semble être un marqueur de l’asthme sévère.
- La mesure de la RVA est un moyen d’appréhender l’obstruction bronchique dans ces affections. Elle est plus sensible dans la détection d’un rétrécissement des voies aériennes centrales que dans celle des PVA. Néanmoins, certains modes de mesure de la RVA semblent plus sensibles à l’atteinte des PVA. La forme « en raquette » de la courbe dite de résistance informe d’emblée sur l’obstruction des PVA.
- Elle est réalisée lors d’une respiration plus proche de la réalité quotidienne que celle imposée par l’expiration forcée permettant la mesure des débits expiratoires. Il est facile de lire à l’écran l’inclinaison ou l’aspect de la courbe qui suggère très vite l’existence ou non d’une obstruction bronchique. Elle est incontournable en pédiatrie ou chez des patients ne pouvant réaliser les mesures spirométriques.
- Elle semble plus sensible que le traditionnel rapport VEMS/CV pour détecter une obstruction des voies aériennes. Tout comme le VEMS, elle peut être soumise à des tests de bronchodilatation ou de bronchoconstriction.
Comment mesurer les RVA en pléthysmographie ?
Par définition, la résistance des voies aériennes est le rapport pression motrice/débit dans les voies aériennes. Ce débit est apprécié par le débit mesuré à la bouche V’. La différence pression alvéolaire (PA) – pression à la bouche (Pm) est la pression motrice. La manœuvre qui permet d’aboutir à la mesure des RVA se fait en deux temps dans le pléthysmographe :
- respiration avec obturateur ouvert au cours de laquelle on mesure V’ (débit à la bouche) et le shift volume* (volume déplacé)
- puis respiration avec obturateur fermé au cours de laquelle on mesure la Pm et le shift volume.
La mesure de la RVA n’est en effet pas accessible directement car la PA ne peut être mesurée lors de la respiration obturateur ouvert. On mesure donc d’abord la résistance spécifique (sRVA) à partir de la droite unissant shift volume et V’ (obturateur ouvert) puis on mesure le VGT à partir de la droite unissant Pm et shift volume (obturateur fermé). On en déduit ensuite RVA (RVA = sRVA/VGT).
En résumé, le pléthysmographe n’autorise que la mesure directe de sRVA dont on pourra déduire RVA après mesure de VGT. Les sRVA sont inversement proportionnelles à la pente de la droite : plus elle est raide, plus les sRVA sont faibles. Il en va de même pour les RVA. La pente des courbes de résistance spécifiques renseigne donc d’emblée sur une éventuelle obstruction.
Avec les cabines d’ancienne génération, la mesure est contraignante : Il est recommandé de mesurer les sRVA à une FR proche de 120/min avec un volume courant faible (mais avec un débit suffisant pour dépasser les seuils de + 0,5 et – 0,5L/sec, sinon il devient difficile de déterminer la pente de la droite ΔV/V’). L’affichage instantané des courbes à l’écran aide l’opérateur à guider le patient sur la fréquence et amplitude respiratoires nécessaires :
- Un halètement trop rapide peut aboutir à la formation d’une courbe en 8.
- Un halètement trop lent à la formation d’une courbe ouverte.
- Un halètement peu ample ne permet pas de tracer une droite fiable.
- Avec les cabines contemporaines, comme la PowerCube Body +, la mesure est plus facile. Les compensations électroniques autorisent une respiration spontanée plus paisible à fréquence moindre, beaucoup moins contraignante pour le patient !
La mesure se fait au cours d’une respiration spontanée à la CRF, sans consigne particulière. Les courbes de sRVA s’affichent à l’écran et la mesure de sRVA à partir de chaque courbe apparaît également à l’écran. On peut recommander d’obtenir 5 courbes techniquement acceptables et c’est la moyenne des chiffres de sRVA qui est retenue en règle. L’étape suivante est de mesurer le VGT (~ CRF) pour obtenir la RVA (RVA = sRVA/VGT).
Comment interpréter les courbes de sRVA ?
Lors de la respiration avec obturateur ouvert, la courbe dessinée est souvent rectiligne ou avec une forme de S très allongé. La pente de la courbe qui définit sRVA est facile à définir. On utilise habituellement la pente de la portion de courbe correspondant aux débits compris entre + 0,5 et – 0,5 L/sec pour calculer sRVA (sR0,5) ; celle-ci peut être affichée directement à l’écran avec le logiciel de la cabine. Elle peut cependant apparaitre avec une forme différente à l’inspiration et à l’expiration. Ceci est courant chez les patients très obstructifs dont les courbes dessinent la traditionnelle courbe en raquette ou club de golf. Déterminer la pente devient alors parfois difficile.
- Chez un patient sain, la courbe reliant V’ et ΔV (shift volume) est « fermée ». Elle prend parfois une forme de S allongé. On utilise la portion la plus rectiligne comprise entre + 0,5 et – 0,5 L/sec de débit, appelée sR0,5.
Chez certains patients très obstructifs, la courbe reliant V’ et ΔV (shift volume) s’ouvre à l’expiration en dessinant la forme habituelle de « club de golf » ou de « raquette ». On peut utiliser là encore la partie de la courbe avec des débits compris entre +/- 0,5 L/sec en s’appuyant sur sa portion la plus linéaire (sR0,5). Certains utilisent plutôt une droite tendue à partir des mesure de shift volume extrêmes (sRtot), plus sensible à l’obstruction distale mais plus variable. Elle semble mieux corrélée à la dyspnée d’effort des patients BPCO que la sR0,5. Il existe d’autres modes de détermination des droites non détaillés ici.
Expression des valeurs et limites normales :
l’unité de mesure de RVA est le cm H²O/L/sec et celle de sRVA est le cm H²O/sec. Rappelons la conversion 1 cm H²O = 0,098kPa. Il existe des tentatives de définition de valeurs normales, plus nombreuses dans la population pédiatrique mais elles n’ont pas la même puissance que les valeurs normales de spirométrie.
On peut retenir que la limite sup normale chez l’adulte de la RVA est de 3 cm H²O/L/sec lors d’une respiration calme et 2,5 cm H²O/L/sec lors du halètement rapide (cabine ancienne génération). Chez l’enfant, la RVA diminue avec l’âge du fait d’un élargissement progressif du calibre des voies aériennes. Il existe aussi des valeurs normales pour sRVA, essentiellement dans la population pédiatrique.
sRVA ou RVA ?
Ces deux modes d’expression des « résistances » ne recouvrent pas les mêmes informations sur la mécanique ventilatoire. La RVA varie de façon significative avec le volume pulmonaire auquel elle est mesurée. L’objectif recherché d’une mesure de RVA à la CRF (volume de relaxation thoraco-pulmonaire) est rarement atteint, ce qui entraîne une certaine labilité de la valeur de RVA. La sRVA (RVA x VGT) est beaucoup plus stable car elle intègre le volume pulmonaire auquel se fait la mesure de RVA. Ceci explique qu’elle soit privilégiée dans les études pharmacologiques par exemple.
Chez l’enfant, la sRVA est peu dépendante de la croissance du volume pulmonaire, du sexe et de la taille. D’autre part, sa mesure ne nécessite pas de manœuvre avec obturateur fermé, et donc praticable chez le petit enfant. Ceci facilite l’étude longitudinale de l’obstruction bronchique chez l’enfant asthmatique.
La pente de la courbe et la forme de la courbe expiratoire sont très informatives :
L’horizontalisation de la pente traduit une obstruction.
- Dans la BPCO avec obstruction sévère, on observe volontiers une courbe largement ouverte à l’expiration qui traduit un piégeage aérique. Cette ouverture expiratoire est fortement corrélée à la distension et au rapport VR/CPT.
- Lors d’une bronchoconstriction du patient asthmatique, on observe plutôt une simple inclinaison de la courbe sans « ouverture » de la portion expiratoire.
- sRVA tot est plus sensible que sRVA 0,5 pour la détection d’une obstruction bronchique chez les patients souffrant de BPCO.
La mesure des résistances peut servir à l’étude de l’hyperréactivité bronchique ou de la réversibilité sous bronchodilatateurs :
- Au cours des tests de provocation bronchique, on considère qu’un accroissement de 100 % de sRVA (PDsRAV100) est significatif de même qu’une baisse de 20 % du VEMS (PD20). Le critère PDsRAV100 est semble-t-il plus sensible que le critère PD20 dans le diagnostic de l’asthme.
- Au cours des tests de réversibilité, une chute de 42 % de sRVA peut être considérée comme le seuil à partir duquel la réponse au bronchodilatateur est significative et prédit une augmentation significative du VEMS chez l’enfant. L’intérêt de la réponse au bronchodilatateur de sRVA par rapport au VEMS est qu’elle intègre la réponse sur la distension et sur l’obstruction bronchique (sRVA = RVA x VGT).
Chez le patient BPCO, la réponse aux bronchodilatateurs est mieux appréciée par la mesure de sRVA que le VEMS et/ou la Capacité Vitale Forcée car elle reflète mieux l’amélioration de la mécanique ventilatoire et de la dyspnée au repos.
CONCLUSION
Face aux mesures spirométriques en expiration forcée chez les patients souffrant d’une bronchopathie obstructive, les mesures des sRVA sont souvent ignorées. Or elles possèdent l’intérêt d’être réalisées en situation plus proche des conditions quotidiennes de respiration du patient ; elles sont réalisables dès le plus jeune âge pour sRVA et elles apportent des informations sur la mécanique ventilatoire que ne fournissent pas la courbe d’expiration forcée.
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* Shift Volume = volume déplacé. Le shift volume (ΔV) est utilisé dans les équations permettant le calcul de RVA. Il correspond aux variations du volume libre de la cabine (identiques et opposées à celles du volume pulmonaire) exclusivement obtenues par la compression – décompression des gaz (à l’exclusion donc des gaz circulants entre le poumon et l’espace libre du pléthysmographe). Le pléthysmographe ne mesure que la variation de Pbox (pression cabine) mais on en déduit le shift volume (ΔV) car ces deux grandeurs sont physiquement équivalentes et interchangeables par la loi de Boyle-Mariotte. C’est parfois Pbox qui est affichée à l’écran, et parfois le shift volume.
Repères Bibliographiques :
1) Body plethysmography – principles and clinical use. C.P.Criéé et al. Respiratory Medecine (2011) 959-971.
2) Whole-body plethysmography. M.D. Goldman et Al. Lung Function Testing, ERS Monograph 31, 2005 (15-43).
3) Pulmonary Function Testing. Third Edition. J. Wanger. Jones & Barlett LEARNING. 2012. ISBN: 978-0-7636-81187.
4) Mahut B et al. Explorations fonctionnelles respiratoires de la capacité ventilatoire. EMC – Pneumologie 2013 ;10(4) :1-9 Article [6-000-A-71].
5) Pulmonary function testing in COPD: looking beyond the curtain of FEV1. S. Kakavas et al. npj Primary Care Respiratory Medicine (2021) 31:23
6) Assessment of acute bronchodilator effects from specific airway resistance changes in stable COPD patients. P. Santus et al. Respiratory Physiology & Neurobiology 197 (2014) 36–45
7) La pléthysmographie corporelle appliquée à l’étude de la fonction respiratoire : mieux comprendre pour mieux maîtriser. R. Barbier. A paraître dans OPA Pratique (https://www.opa-pratique.com).